1945

Barbeau commence à fréquenter l’atelier de Borduas, qui reçoit les mardi au 3040 de la rue Mentana. (6) Parfois, la soirée se poursuit tard dans la nuit autour d’une tasse de café à la résidence de ce dernier, au 983 de la rue Napoléon. Barbeau, qui jusque-là n’a guère eu l’occasion de s’initier aux arts et aux lettres, y fait son éducation culturelle. Il y rencontre d’autres jeunes disciples de Borduas, les peintres, Fernand Leduc, Pierre Gauvreau, Jean-Paul Mousseau et Guy Viau, les chorégraphes Françoise Sullivan, Françoise (Lespérance) Riopelle et Jeanne Renaud, l’étalagiste, Madeleine Arbour et les poètes Claude Gauvreau, Rémi-Paul Forgue et Thérèse Renaud, ainsi que l’étudiant en psychiatrie, Bruno Cormier, qui écrit alors des œuvres dramatiques, parallèlement à ses études. Claude Gauvreau introduit Marcel Barbeau à la littérature surréaliste et dadaïste et il l’invite à des concerts et des récitals de musique classique, pour lesquels il obtient parfois des billets gratuits grâce aux amitiés de Madame Gauvreau dans le milieu artistique.(7)

Author Perron, Maurice. Autorisé par Line-Sylvie Perron pour Copyright Carmen Perron
A group of students at the École du Meuble library (circa 1946). From left to right: Bernard Morisset, Maurice Perron, M. Fauteux, Yves Groulx, Marcel Barbeau, Léonard Garneau. Photo Fonds Maurice Perron du Musée national des Beaux-arts du Québec, kindly authorirized by Line-Sylvie Perron. Copyright © Carmen Perron.

Sur la recommandation de Borduas, il devient membre junior de la Société d’art contemporain. L’une de ses peintures est retenue pour l’exposition annuelle de cette association au Musée des beaux-arts de Montréal. La critique, qui s’attarde aux valeurs sûres ou aux œuvres de débutants qui, comme André Jasmin, s’engagent dans des voix plus familières, ignore cependant son envoi tout comme ceux de ses confrères Jean-Paul Riopelle et Jean-Paul Mousseau. (8)

Barbeau est aussi admis au Soixantième Salon du printemps, exposition compétitive annuelle, organisée par l’Art Association of the Montreal Museum of Fine Arts. Ouverte à tous, l’exposition regroupe des professionnels, des étudiants et des amateurs, des peintres académiques comme des tenants du modernisme.

Barbeau y expose du 5 au 29 avril, une huile, Convoitise(9). Il s’agit d’une œuvre de format moyen, si on en juge par le prix de 40 $ Can (1252.73 FF (1945) soit 126.073 €), inscrit dans le catalogue de l’exposition, prix qui est légèrement inférieur à la somme de 50 $ Can (1 565.91 FF (1945) soit 159,53 €) payée pour Veillomonde, l’année suivante.

Pendant les vacances d’été, Barbeau continue à travailler à l’épicerie familiale. Il se rend à quelques reprises à Saint-Hilaire, où Borduas vient d’emménager dans un nouvel atelier et où la famille Gauvreau loue une maison de ferme pour la saison estivale.

À l’automne, Barbeau entreprend sa quatrième année d’études à l’École du Meuble. Devant l’impatience de sa mère et de ses sœurs, qui ne supportent plus l’invasion du séjour et de la salle à dîner par ses tableaux, il loue d’un voisin un hangar, situé à l’arrière du 4549 de la rue Saint-Hubert, afin d’y aménager un atelier(10). Charlie Talbot, un ancien confrère de l’école Louis-Hippolyte-Lafontaine, lui sert d’intermédiaire auprès de ses parents. L’espace est exigu, ne comporte qu’une seule fenêtre, et les murs de planches de bois, couverts de tôle d’acier, ne sont pas isolés et laissent filtrer le jour et le froid à travers les fentes. Néanmoins, Barbeau invite son confrère, Jean-Paul Riopelle, dont la famille s’oppose fermement à sa vocation artistique (11) , à partager cet atelier de fortune avec lui. Parfois d’autres jeunes artistes, Jean-Paul Mousseau et Bernard Morisset, se joignent à eux. Les poètes Claude Gauvreau et Rémi-Paul Forgue en sont des visiteurs assidus. On connaît ce local sous le nom, “Atelier de la ruelle”. Le chauffage, qui devient rapidement essentiel, se réduit à un petit poêle à charbon rudimentaire, qu’on appelle «truie» ou «tortue» à cause de sa forme arrondie et son empattement bas. Il y fait tellement froid en janvier et février que les murs se couvrent alors de verglas. Par dérision, les jeunes artistes délimitent au sol des zones climatiques: près du poêle, un cercle rouge indique la zone torride et les risques de brûlure; plus loin un cercle vert accueille la zone tempérée où il fait bon peindre; plus loin encore près des murs, un cercle bleu rappelle que le froid risque de nuire au séchage des tableaux.(12)

Malgré ces conditions difficiles, s’ouvre pour Barbeau et Riopelle, qui n’ont plus à subir les contraintes familiales, une période d’expérimentation intense, tant du point de vue formel que technique. S’inspirant de descriptions d’expériences d’écriture automatique publiées dans Le Minotaure, ils réalisent leurs premières expériences d’automatisme mécanique en dessin et en peinture.(13) Dans l’urgence du besoin de création, ils expérimentent parallèlement les techniques de la détrempe, de la décalcomanie, des projections, des giclées, des coulures et du travail à la spatule. L’émulation de ces expérimentations parallèles incite les jeunes artistes à repousser toujours plus loin les frontières de leur art. Alors que son emploi à temps partiel de garçon d’épicerie lui permet de se payer des matériaux d’artiste, ses compagnons doivent recourir à des matériaux de commerce (émail et peinture pour automobile). Curieux des matériaux de fortune, souvent trouvés, qu’ils utilisent, Barbeau accepte une pièce de jute que lui offre Mousseau et comme lui, il associe à ses pigments habituels, de l’émail noir pour peindre le tableau Composition (MBAC). Libéré de la crainte de gaspiller des matériaux de qualité, Barbeau peint là le premier tableau abstrait dont il est entièrement satisfait ; il l’échange aussitôt avec Jean-Paul Mousseau contre un tableau de ce dernier. Insatisfait de la matière et du support, Barbeau reviendra cependant rapidement aux matériaux d’artiste traditionnels. Il n’utilisera plus de jute comme support, lui préférant le Masonite (bois aggloméré) ou le carton, qu’il juge plus solide. Constatant les difficultés de contrôle de l’émail, qu’il juge trop liquide, et s’inquiétant de son potentiel de conservation, exigence de pérennité que lui a transmise Borduas, il l’abandonnera également, après l’avoir utilisé dans quelques autres tableaux, comme Forêt vierge (MBAC). Il n’y reviendra que très occasionnellement, pour trois ou quatre tableaux, en 1951, puis pour trois autres peintures gestuelles, en 1957.

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