VENTE RECORD D’UN CHEF D’OEUVRE DE BARBEAU CHEZ HEFFEL 22/05/2008 to 23/05/2008
« Ouvri », un tableau exceptionnel de Marcel Barbeau, a été adjugé à 86 250 $ à la vente aux enchères de la maison Heffel le 22 mai dernier. Il y a longtemps qu’une œuvre aussi importante de l’artiste avait été offerte en salle de ventes. « Ouvri » est l’une des rares huiles majeures de l’artiste, datant de la période automatiste, qui ne soit pas dans une collection publique et c’est certainement l’une des plus brillantes de sa production de 1956, alors que Barbeau atteignait la maturité artistique. Elle se manifeste dans le sentiment de plénitude qui se dégage de cette peinture. Avec « Natashkouan », propriété du Musée des beaux-arts du Canada, et « Prairie naissante », qui figurait dans l’exposition « Achieving the Modern » organisée par The Winnipeg Art Gallery en 1993, c’est l’un des plus achevés et le plus lumineux de cette courte série de onze tableaux de Marcel Barbeau. Le Musée d’art contemporain de Montréal possède également une grande toile de cette suite, « Recherche» , qui est cependant plus austère que les trois autres. Dès sa première exposition chez Agnès Lefort en 1957, cette peinture a retenu l’attention des critiques les plus éclairés de l’époque, notamment le poète Claude Gauvreau, membre et ardent défenseur du mouvement automatiste, qui l’avait immédiatement remarqué. Aussitôt, dans un geste d’amitié, Barbeau la lui a offerte, en reconnaissance des appuis moraux que le poète lui avait apportés au cours de sa jeune carrière. Claude Gauvreau possédait déjà alors “Le tumulte à la mâchoire crispée” (Collection du Musée d’art contemporain de Montréal) que Barbeau lui avait également donnée en 1947, alors que le poète avait défendu sa dernière production, contre tous ses autres compagnons qui lui reprochaient sa planéité et son traitement “all over”, ce qui alors leur paraissait mécanique. Avec “Ouvri”, Barbeau poussait encore plus loin ses explorations sur le rythme, la répétition incantatoire du geste coloré, la réduction des éléments picturaux et la fusion des formes colorées dans une surface d’une lumière presque égale, évocatrice de l’infini. Comme dans tous les tableaux de cette série, Barbeau recourt ici à la matière, ce qui est rare dans son œuvre, comme le souligne à juste titre Carolle Gagnon dans “Peinture gestuelle et modélisation sémiotique”, sa thèse de doctorat à l’Université Laval (1989). Mais chez Barbeau, la matière demeure légère, presque fluide, servant davantage à accentuer la luminosité et le mouvement du tableau qu’à en affirmer la matérialité, la pesanteur ou le caractère charnel comme chez les peintres purement matiéristes. Cette période, qui est à la fois pour Barbeau un sommet dans sa production automatiste et une charnière dans son évolution vers sa période minimalisme du tournant de cette décennie, devait susciter de nombreux autres commentaires positifs. Ainsi, Guy Viau choisit “Ouvri” pour illustrer la période automatiste de Barbeau dans le premier article qu’il lui consacra et qui fut publié presque simultanément dans “The Canadian Architect” et “Cité Libre” à l’automne 1961. Bernard Tesseydre et surtout Barry Lord ont aussi mis de l’avant la dimension avant-gardiste et l’originalité de cette production. Récemment Roald Nasgaard a souligné l’importance historique de cette production de Barbeau dans son ouvrage monumental “Abstract painting in Canada” (2007). Le grand historien d’art québécois François-Marc Gagnon signe un brillant commentaire de ce tableau dans le catalogue de cette vente aux enchères. Présent dans l’exposition itinérante “Marcel Barbeau – Le Fleuve en escales 1953-1990”, organisée par le Musée du Bas Saint-Laurent et présentée à travers le Canada entre 1999 et 2001, “Ouvri” est commenté et reproduit dans son catalogue. Il est également reproduit dans le Catalogue raisonné des peintures de Marcel Barbeau où il est inscrit sous le numéro PE239. On y lit à son sujet : “… Le recours à un orangé plus clair que dans les autres tableaux de ce groupe, qu’illumine encore son association au jaune, de même que l’importance du blanc, y diffuse une lumière éblouissante. La direction des touches ne s’orientent pas selon un axe géométrique aussi strict que dans ‘Prairie naissante’, mais semblent rayonner de part et d’autre.” GAUTHIER, Ninon, Marcel Barbeau Catalogue raisonné des peintures 1944-1971, thèse de doctorat sous la Direction de Serge Lemoine, Université Paris IV Sorbonne, mars 2004. Les qualités plastiques exceptionnelles de ce tableau, son rôle avant-gardiste dans l’histoire du mouvement automatiste et de l’abstraction au Canada, le fait qu’il soit abondamment documenté, la rareté sur le marché des œuvres de cette période, enfin sa provenance, qui relie cette œuvre à toute l’histoire du mouvement automatiste entre 1947 et 1956, ont contribué à la hauteur des enchères et au prix-record obtenu. Ce prix de vente reconnaît l’importance artistique et historique de l’œuvre de Barbeau et le situe parmi les plus grands artistes canadiens et les grands artistes de sa génération. On trouvera d’autres commentaires sur ce tableau et plus d’information sur cette vente sur le site Web de la maison de ventes aux enchères Heiffel, sous sa vente du 22 mai 2008 et sous le nom Marcel Barbeau : http://www.heffel.com/new/auction/Lots_E.aspx?Search=3&ID=614&Page=1&Scope=0 . On notera que Heiffel, dont le siège est située à Vancouver, occupe actuellement une place de premier plan sur le marché second canadien. N.G.
Sorry, comments are closed for this post.