À la fin février, son contrat étant échu et une rivalité amoureuse l’ayant opposé au directeur, son contrat n’est pas renouvelé. Barbeau quitte Rouyn-Noranda pour Montréal, où il doit s’occuper de l’encadrement et de l’organisation de son exposition à la Galerie Agnès Lefort, prévue du 3 au 14 mars. (83) La galerie présente en parallèle à ses encres des poteries de la céramiste Louise Cimon. Suzanne Meloche que Barbeau revoit alors rédige pour lui un communiqué de presse qui est repris dans Le Devoir. (84) Rodolphe de Repentigny publie une longue critique de l’exposition dans La Presse. (85) Du 7 au 18 avril, Barbeau expose avec la céramiste ses Combustions originelles au Foyer de l’art et du livre à Ottawa. Comme chez Agnès Lefort, l’exposition regroupe ses encres et des céramiques de Louise Cimon. Elle est commentée dans le Journald’Ottawa. (86) Cependant, n’ayant pas répondu à temps à l’invitation des organisateurs de l’exposition Canadian Painting. (87) Barbeau ne figure pas dans cette exposition, présentée à la Galerie nationale du Canada en même temps que son exposition personnelle. Par ailleurs à Montréal, il est refusé au Salon du printemps de l’Art Association. (88) À son retour d’Ottawa, Barbeau participe avec Jean-Paul Mousseau et quelques copains de ce dernier à la décoration de la salle Charpentier, située au 3560, du boulevard Saint-Laurent pour le Bal masqué, organisé par un groupe d’artistes reliés à Jean-Paul Mousseau et Dyne Mousseau. Ce bal travesti a lieu le 12 avril. (89)
À la fin avril, Barbeau retourne à Québec, où il fréquente des étudiants et de jeunes artistes. (90) Un copain, étudiant en médecine, l’invite à observer des cristaux au microscope électronique, observation qui confirme chez Barbeau l’idée que la peinture abstraite peut rejoindre un autre niveau de réalité que celui, immédiatement perceptible. (91) Il introduit quelques jeunes artistes de Québec auprès des organisateurs de l’exposition Place des artistes, exposition prévue à Montréal du 1er au 31 mai. (92) À la veille du vernissage, Barbeau remet en question le sérieux et la probité des organisateurs de l’exposition et il conteste dans une lettre ouverte aux journaux la politisation de l’exposition et l’éclectisme de la sélection, associant l’avant-garde abstraite au réalisme socialisme et à l’académisme, de même que le dirigisme des organisateurs, qui ne souffrent aucune discussion. (93) Il menace de retirer son envoi. Cependant, il y participera. L’œuvre provenant de la dernière production de l’artiste, présente une fragmentation de la surface si on se réfère à la description qu’en donne Paul Gladu dans son compte rendu de l’exposition paru dans L’Autorité. Le critique y souligne en effet, son « obsession des cristaux » (94), ce qui laisse présumer que les encres qu’il présente dans cette exposition appartiennent à la production tardive de la série des Combustions originelles, où l’image est fragmentée par l’entrecroisement des coulures et des giclées. Cela permet de situer dès cette période ses premières observations de cristaux au microscope.
Au début juin, Barbeau accompagne dans le comté de Charlevoix son ami François Soucy, un étudiant de l’École des beaux-arts de Québec. (95) Les deux artistes croient pouvoir passer un mois à peindre en assurant leur subsistance par la pêche. De passage à Baie-Saint-Paul, les deux jeunes artistes visitent le peintre et ancien coureur des bois, René Richard, un ami du père de l’étudiant, rencontre qui les conforte dans ce projet. Barbeau est séduit par sa faconde de conteur et l’expressivité de ses dessins. Après la nuit à Baie-Saint-Paul chez René Richard, ils poursuivent leur route vers La Malbaie où ils rencontrent le maire Boris Maltais. Ce dernier leur propose de les héberger durant leur séjour dans un petit chalet de pêche qu’il possède au Grand-Lac-Sainte-Agnès, situé à quelques kilomètres en amont de ce chef-lieu. Barbeau y inaugure sa suite de paysages abstraits que Borduas appellera Fonds marins, un titre qui leur sera conservé. D’abord peinte au pinceau par larges plans colorés, l’image est structurée et redessinée par un procédé de grattage à la spatule qu’il avait utilisé dans ses toutes premières abstractions, notamment Au domaine des feux follets (1945) et L’airain apposé sur l’attente (1946, Collection The Edmonton Art Gallery). Le bleu de Prusse et le vert de Véronèse dominent d’abord la palette de Barbeau avec parfois des ponctuations d’ocre ou d’orangé, qui font écho à la lumière hautement contrastée des ciels de Charlevoix.
À son retour, Barbeau s’installe dans une grande chambre au 1 rue Hamel, dans le vieux Québec. (96) Il y résidera durant ses différents séjours à Québec entre 1953 et 1955. Il y poursuit la suite des Fonds marins, avec des œuvres généralement plus achevées ou plus radicales que celles déjà produites. Dans cette série se prolonge une nouvelle suite de peintures aux harmonies, couleurs de terre, que Barbeau privilégie. Souvent, le fond se confond avec la forme. Début juillet, Barbeau se rend chez des amis à l’île d’Orléans où il réalise quelques sculptures en bois. (97) Du 1er juillet au 22 août, il retourne à Sainte-Adèle où il enseigne à nouveau la sculpture au Centre d’art. (98) Il y produit aussi une grande sculpture sur bois d’aspect biomorphique et quelques petites sculptures de céramique qu’il expose dans la vitrine de l’atelier, puis dans le cadre d’une petite exposition organisée par le Centre d’art en fin de session. Un homme d’affaires montréalais, qui possède une résidence secondaire dans la région, lui achète sa grande sculpture de bois. (99)
De retour à Québec en septembre, Barbeau fréquente le milieu artistique et universitaire de la ville de Québec, surtout les étudiants de l’École des beaux-arts. Pauline Shink présente Marcel Barbeau au photographe Gaby qui lui offre un travail d’assistant. Il travaille avec lui pendant quelques mois et il s’initie à la photographie qui deviendra son métier alimentaire jusqu’au printemps 1962. (100)
Parallèlement aux portraits commerciaux qu’il produit dans le cadre de ce métier alimentaire, il entreprend des recherches en photographie où il explore les effets conjugués du mouvement et de la lumière. Il réalise une suite de photographies de nuit de faisceaux lumineux en mouvement, phares d’auto sur les pavés mouillés, et de trajectoires lumineuses du traversier de Québec à Lévis. Il expose quelques-unes de ses photographies et ses encres à la Galerie l’Échoppe de son amie Pauline Shink. À l’exception de deux photographies conservées par cette dernière, la plupart des photographies de Barbeau de l’époque ont été égarées à la fin des années soixante.
Le 22 décembre, sur la recommandation d’Agnès Lefort, le conseil d’administration du Centre d’art de Sainte-Adèle engage Marcel Barbeau pour y donner des cours de peinture aux enfants pour la saison d’hiver. (101) Ce contrat de travail d’une durée de trente semaines formalise ses relations avec le centre d’art et lui assure pour quelque temps une sécurité financière minimale. Une subvention du Secrétariat de la province de Québec, responsable des affaires culturelles, assure le financement de cette activité. Barbeau y donnera un cours hebdomadaire jusqu’à l’automne 1954.
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